Merci à Asuka pour son aide précieuse.
Merci à Miyamoto pour le jeu de mots avec le nom du texte ^^
Traînant ses bottes rapiécées sur le col maculé de boue alors qu’une légère brise faisait onduler ses longs cheveux bruns, Rebecca s’adossa avec un large sourire contre le vieux saule bordant Vorata, paisible rivière méconnue près du Temple de l’Eau.
Carpes, truites, silures et perches garnissaient son panier en osier rembourré en poils de Baraskouaire (un mammouth). La journée avait été extrêmement productive et la jeune femme semblait dans les grâces d’Athéna. La tiédeur était propice à la relaxation et Rebecca ne mit guère de temps avant de rejoindre les bras de Morphée.
A son réveil, le ciel précédemment clair et éblouissant avait cédé la place à un soleil rouge et brillant dont les derniers rayons luisaient à travers les branches des saules environnants. Son visage placide laissa échapper un long bâillement alors qu’elle étirait mollement ses bras.
Puis, Rebecca se redressa, en arborant toujours son sourire satisfait. Elle contempla le magnifique coucher de soleil en poussant un léger soupir puis ses yeux se tournèrent vers sa cabane en chêne, fièrement dressée devant le perron de marbre. Puis, ils se fixèrent sur son panier en osier. Elle fut alors secouée d'un sanglot et des larmes ruisselèrent sur ses joues. Nulle trace de sa jounrée de travail ne subsistait dans son panier !
A la fois horrifiée et envahie par un sentiment naissant de désespoir mêlé de rage, elle finit tant bien que mal à se ressaisir et se lança à la recherche d’indices concernant cette mystérieuse disparition. Après une journée de dure labeur gâchée, nul ne s’en tirerait à si bon compte ! Le coupable payera le prix fort quoiqu’il lui en coûte !
Finalement, après un attentif examen des lieux, seule la présence d’empreintes éparses sur une partie meuble de la berge constituait l’unique seule piste possible pour retrouver le coupable de cet affront impardonnable. Le responsable paraîtrait avoir une démarche très particulière. En effet, selon les traces du coupable, il semblerait se mouvoir sur le côté. De plus, vu la profondeur des traces et le rapprochement entre elles, il est aisé d’en déduire qu’il devrait mesurer un peu plus d’une dizaine de centimètres et que son poids ne devait pas excéder un kilo.
Oh oui, Rebecca savait exactement qui était derrière tout ça et elle redoutait d’avoir affaire avec cet ignoble individu qui lui avais déjà causé bien du tracas à de nombreuses reprises. Loin d’être une entreprise désespérée, il valait mieux se montrer optimiste pour prétendre avoir plus de succès que les fois précédentes.
Bien qu’il semblait avoir quitté le secteur depuis plusieurs mois, le Décahandla avait préféré hiberner dans son habitat - un terrier creusé dans du sable, de la vase ou de la terre meuble d’une rivière - durant la mauvaise saison, ce qu’ignorait Rebecca qui avait conclu à une participation plus active de l’animal dans la chaîne alimentaire pour expliquer sa disparition.
Quand on a uniquement à sa disposition les traces du déplacement de cet animal, il est peu aisé de le retrouver. En effet, il est doué de mimétisme, c’est à dire qu’il est capable d’adapter sa couleur en fonction du milieu dans lequel il évolue.
Mais les traces du crabe finirent inévitablement par se perdre, ce dernier ayant justement emprunté des voies qui n’avaient rien de rectiligne, ce qui dépassait l’entendement de Rebecca. Pourtant, le Décahandla ne dispose pas de poumons mais de branchies, ce qui implique de souvent faire des pauses dans divers points d’eau. En effet, il puise l’oxygène subsistant dans les cavités de ses branchies afin de respirer car il est absolument incapable d’utiliser le dioxygène de l’air. Son autonomie respiratoire est faible ce qui favorise une prédation près des milieux aquatiques.
Alors que le soleil couchant disparaissait à l’horizon en cédant sa place au noctême, la détermination de Rebecca demeurait toujours inflexible. Toujours la canne à pêche à la main, elle sortit de sa poche de la poudre déshydratée de Bella Donna et en imprégna son hameçon. Puis, elle saisit une synéite et l’en approcha. Une détonation assourdissante retentit et l’hameçon s’embrasa dans des flammes bleues. Une aveuglante lumière inonda alors cette portion de la Vorata mais elle s’estompa en devenant une lueur suffisante pour éclairer à plusieurs mètres à la ronde. Etrangement, la ligne en poils de Baraskouaire semblait avoir parfaitement résistés à cette température ce qui ne fait que confirmer son utilisation comme isolant.
Désormais lestée à l’aide de moyens rudimentaires, Rebecca continua sa chasse au crabe, aidée par la lumière bleue émanant de son hameçon. Elle finit par retrouver les traces de Décahandla non loin d’un terrier creusé dans la vase.
Après avoir minutieusement prêté attention au pourtour de son habitat, la jeune femme s’aperçut que « son » crabe n’était pas seul à se fondre avec le décor ! Il y en avait deux autres, sans doute un représentant du sexe opposé et leur progéniture à en juger par leur taille et leur comportement social ; la femelle avait justement donné un poisson au crabe le plus petit avec sa pince droite ce qui avait permis à Rebecca de les localiser. Et oui, comment avait-elle pu penser une seule seconde que « son » crabe était unique et que sa seule vocation était de lui jouer de mauvais tours ? Il a une famille à nourrir lui aussi !
Tous les trois disposent de cinq paires de pattes thoraciques, ce sont donc des décapodes. De plus, ils possèdent des mandibules, issues de la transformation, au cours des générations, de leur première paire d’appendices buccaux, ce sont donc des mandibulates.
Leur pinces ont une forme différente chez le mâle, on parle de dimorphisme sexuel. En effet, on observe une plus importante longueur - sans doute pour attraper plus de proies – alors que la femelle ne dispose que de pinces tout à fait ordinaires. Cependant, il ne faut pas se fier à la longueur de cette dernière car, pour tous deux, la force de traction est de l’ordre de 30 kilos par centimètre carré, ce qui compense largement leur absence de glandes sécrétrices de poison pour tuer les poissons, son met favoris.
Emue par cette scène émouvante, Rebecca décida de repartir les mains vides, n’ayant vraiment pas le cœur d’aller ôter la nourriture de la bouche (ou plutôt des mandibules) d’un enfant. Alors qu’elle tournait les talons, un éclair bleu fendit l’air comme un fouet et Rebecca se baissa in extremis pour l’éviter. Elle fit volte-face et vit un tange livrer bataille avec les Décahandlas.
Et oui, tout comme elle avait pu les voir en repérant les poissons en mouvement, la tange (un oiseau) en avait fait de même, aidée qui plus est par la lumière. La carapace ronde des Décahandlas est censée les protéger plus ou moins efficacement des prédateurs mais c’est principalement leur mimétisme qui leur sauve la mise. Ainsi, dans un combat contre un tange, à moins que le Décahandla parvienne à pincer son adversaire et à exercer une traction jusqu’à sa mort, il y a de très fortes chances que ce soit l’oiseau qui remporte le combat. En effet, le tange dispose à son avantage de son expérience contre les Passicrambes (des oursins) et il sait placer des coups sans se faire blesser par sa proie.
Le combat fut ponctué de coups de becs et de coups de pinces donnés dans le vide mais la vélocité du tange finit par l’emporter sur la force du Décahandla. Pendant la lutte enragée, la mère et le fils avaient fui ce qui fait que lorsque le tange regagna le ciel avec sa prise, laissant une Rebecca abattue. Rien ne lui aurait fait plus plaisir que de pouvoir récupérer le produit de sa journée de pêche… mais pas à ce prix là.
Les poissons gisant près du terrier retrouvèrent son propriétaire original qui revint à son foyer et y retrouva la compagnie de son époux et de son fils. Mélancolique, elle songea à la cruauté de la vie et à celle la chaîne alimentaire jusqu’à ce que le sommeil la (re)gagne. Après tout, puisse le petit Décahandla devenir aussi fort et courageux que son père !